CHAPITRE VI
Après le premier moment d'effroi, les recherches avaient été rapidement organisées.
Surmontant sa stupeur et sa consternation, Lou Montoya avait réparti les tâches, donné des ordres. L'hélicoptère à bord duquel se trouvait Maurice Valour resterait sur les lieux, assurerait la surveillance de la capsule et attendrait l'arrivée du René Latour qui repêcherait l'Alliance-6. Les deux Maraudeurs et son propre appareil entreprendraient des recherches minutieuses au-dessus de l'océan...
Des recherches d'autant plus minutieuses que deux éléments nouveaux étaient survenus.
L'un, naturel : le .soir tombait, la nuit était proche, et sa venue n'était pas faite pour faciliter les choses.
Le second avait été transmis par Valour presque aussitôt après qu'il eut annoncé que la capsule était vide le canot pneumatique dont était munie l'Alliance-6 n'était plus dans le logement prévu pour lui dans le caisson où étaient disposés les divers matériels de secours...
Cela impliquait que Parker et Born, agissant une fois de plus d'une manière incompréhensible ou du moins assez peu logique, s'étaient refusés à attendre leur arrivée dans la caspule et avaient préféré gonfler le canot et s'embarquer à son bord en abandonnant l'engin spatial...
«Curieux», avait pensé Montoya.
cette affaire avait rapidement pris une allure qui ne lui inspirait plus le moindre optimisme ni la moindre confiance.
La nuit avait interrompu trop vite ces recherches difficiles. Reprises le lendemain dès l'aube, elles étaient demeurées vaines...
Abel Brouker avait poussé un profond soupir et se taisait.
Lou Montoya respecta son silence. Il venait de lui faire de vive voix un exposé détaillé de la situation, et attendait les réactions de son supérieur un peu comme un accusé devait attendre le verdict de ses juges.
Abel Brouker était en quelque sorte le P.-D.G. de l'Organisation Cosmique Internationale. Une fonction purement administrative, mais qui faisait de lui le responsable de l'O.C.'. vis-à-vis des Etats membres.
Le président soupira de nouveau.
—je n'ai aucun reproche à vous adresser, Montoya, attaqua-t-il. Aucun. Vous étiez chargé de la direction de cette mission, et le projet Alliance-6 vous doit d'ailleurs beaucoup.
Vous vous êtes acquitté de votre tâche avec..., avec beaucoup de talent, dit-il après une brève hésitation. Tout ce qui se passe, je crois, ne peut être attribué qu'à la malchance...
—Merci..., murmura Montoya.
Il profita de la courte pause que provoquait sa brève intervention pour allumer une cigarette. Il en mourait d'envie depuis près d'une demi-heure. Il en souffla voluptueusement la fumée par les narines.
—A de la malchance, reprenait Brouker, ou à un concours de circonstances dont nous sommes actuellement incapables de découvrir les tenants et les aboutissants... Ce qui revient finalement au même !
Abel Brouker se tut. Il s'empara d'un long coupe-papier qui reposait sur la large table de travail, l'examina quelques instants comme si l'objet attirait brusquement toute son attention.
—Malgré tout, poursuivit-il enfin, il y a dans tout cela certains faits, certains points inadmissibles...
Lou Montoya se raidit imperceptiblement dans son fauteuil.
Personnellement, déclara Brouker, je comprends certaines défaillances. Mes fonctions à l'O.C.I. m'ont appris.., une certaine tolérance. Nous ne nous imposons pas au cosmos, c'est lui qui nous enseigne et nous impose peu à peu ses lois...
Montoya approuva de la tête.
—Je veux dire que certains faits paraîtront inadmissibles aux représentants des Etats membres... Je suis responsable devant eux. A ce stade, H s'agit davantage de politique que de science cosmique, Montoyam Et, franchement, je ne sais comment expliquer, et justifier, certaines choses à des gens qui possèdent sans aucun doute unie excellente formation politique, mais qui n'ont, en revanche, que de très vagues idées sur ce qu'est réellement l'espace, avec les innombrables et complexes problèmes qu'il pose Lou Montoya ne put s'empêcher de protester : —Il me semble qu'il s'agit tout de même bien. plus de la disparition des deux hommes que des réactions de politiciens !
—Ce sont deux aspects différents de la question, fit froidement Abel Brouker. D'ailleurs, ces faits inadmissibles sont presque tous dus à Valéry Born et à jef Parker ! A part l'avarie inexplicable de tout le système de télécommunications, il est malheureusement indéniable que ce sont Born et Parker euxmêmes ced ont compliqué les choses, d'abord en ne respectant pas le plan de vol, puis en abandonnant la capsule en plein océan Li1 je crois, dit Montoya d'un ton presque ironique, qu'il faudrait être dans leur propre peau pour comprendre leurs réactions, leurs agissements, et les juger. Il ne faut pas oublier que, si nous étions sans nouvelles d'eux, ils étaient probablement privés de leur côté de nos nouvelles... Quand on est enfermé dans une capsule cosmique depuis un mois, de retour d'une mission qui comportait ses dangers, au moins ses incertitudes, on doit avoir, il me semble, mie manière assez peu orthodoxe de réagir à cette espèce d'incident !...
— Soit, trancha Brouker. Mais n'est-il pas aussi impensable que les équipages des deux Maraudeurs envoyés à la rencontre de l'Al1iance-6 n'aient rien remarqué, n'aient pas repéré le canot ?...
— Non. Les Maraudeurs ont retrouvé la capsule déjà posée sur l'océan. Nous ne savons pas depuis combien de temps exactement elle s'y trouvait quand elle a été découverte. Les radars ont suivi la capsule tant qu'elle a été à une altitude suffisante. Les stations l'ont perdue à 17 h 22, elle •a été repérée peu après 18 heures. Il y a un battement de près de quarante minutes, au cours desquelles l'Alliance-6 a pu se poser, dériver, tout comme a pu dériver le canot... En outre, les observateurs des Maraudeurs ne cherchaient pas un canot pneumatique, point minuscule et à peine visible sur l'eau depuis une certaine altitude, mais bien. la capsule elle-même, qui devait faire un point beaucoup plus gros et plus sombre... Les appareils ont pu survoler le canot sans l'apercevoir. D'ailleurs, je le répète, ce n'était pas ce qu'ils cherchaient ! On trouve sur la surface d'un océan ce qu'on cherche spécialement, avec une attention particulière ; on ne remarque pas forcément d'autres détails...
— Vous avez raison..., mais ce n'en est pas moins très regrettable.
Il y eut un silence, que Brouker rompit par un nouveau soupir.
Cette situation ne peut s'éterniser, murmura-t-il... Tôt ou tard, il faudra bien révéler la vérité, donner des explications...
C'était indiscutable.
Jusqu'alors, les faits avaient été déguisés.
On avait poliment reconduit les journalistes et les curieux, en leur confiant simplement quelques vagues nouvelles, assorties de quelques excuses : la mission s'était terminée dans des conditions satisfaisantes. La capsule Alliance-6 avait été récupérée. L'engin et son équipage étaient au secret pour quelques jours... Oui, un isolement des hommes et du matériel, afin de les soumettre à diverses analyses dans le but de prévenir toutes radiations nocives et tout risque de maladies inconnues dont les germes auraient pu être recueillis par la capsule spatiale au cours du trajet ou des révolutions autour de Jupiter... Simples mesures de prudence...
Il était évident que publique ne se contenterait pas longtemps de tels exposés...
A bord du canot pneumatique, Born et Parker avaient vu passer les avions. Ou, plus exactement, ils les avaient entendus. Un bourdonnement confus. Les appareils étaient passés loin de la petite embarcation, à une altitude assez grande. Trop haut pour qu'ils puissent !Piles distinguer. Le bruit avait rapidement décru, s'était étouffé dans le lointain.
Valéry Born avait fait un signe à Parker.
Un geste vague, comme pour lui dire « Tu vois bien que tout était malgré tout prévu pour nous accueillir... »
OP Id Parker s'était calmé lentement. Peutêtre commençait-il même à regretter son enté' tement. Il avait haussé les épaules.
— La côte est forcément proche, avait-il déclaré d'un ton buté. Nous l'atteindrons rapiL dement.
Son compagnon n'avait rien répondu.
Fr A quoi bon discuter, au risque d'envenimer les choses, de provoquer une nouvelle crise Les dernières heures passées dans la capsule avaient été pénibles.
Très affecté par le silence des récepteurs, angoissé devant l'impossibilité où ils se trouvaient de communiquer avec la Terre, Parker avait perdu peu à peu le contrôle de ses nerfs... Un incident ridicule, qui ne se serait jamais produit chez un être réputé équilibré dont le système nerveux, comme tout l'organisme, avait fait l'objet de nombreux tests et examens.
Mais ils venaient de passer un mois dans l'espace, à des millions de kilomètres de la Terre...
C'était une épreuve susceptible de modifier les réactions normales d'un individu. Born le comprenait d'autant plus aisément qu'il n'avait pas été sans ressentir lui-même une certaine anxiété devant ce silence, cet inexplicable silence.
Pendant quelques heures, Born ne savait plus combien, jef Parker avait été comme fou.
Une sorte d'hystérie provoquée par la peur ou l'appréhension, qui Fui avait fait perdre tout sens commun.
Born s'était vu obligé, pour éviter d'aggraver la crise, d'accéder à tous ses désirs, de céder à toutes les menaces incohérentes que proférait Parker. Certes, les ordres de ce dernier chamboulaient toutes les normes et tous les programmes, mais il fallait revenir, c'était le plus important, accomplir la dernière phase de la mission, sans courir aucun risque inutile.
Un déroutement de dernière minute, s'était dit Born, serait de toute manière décelé par les radars. La seule conséquence serait qu'ils devraient probablement attendre un peu plus ceux qui les guettaient en bas.
Cédant donc aux instances de Parker qui jugeait, dans son affolement, les conditions météorologiques exécrables au-dessus du point convenu, Born avait donc effectué la naanceùvre nécessaire pour une légère déviation vers le sud.
Au moment de l'amerrissage, l'état de son compagnon ne s'était pas amélioré. Loin de là...
Brandissant une arme dont il pointait à tout instant le canon sur Valéry Born, Parker avait exigé que le canot fût gonflé et mis à la mer. Sans raison apparente... Il semblait seulement que Parker ne pouvait physiquement ni mentalement plus supporter de se trouver à bord de l'Alliance-6, que son plus cher désir était, au contraire, de s'éloigner au plus vite de l'engin.
Toutes les tentatives qu'avait faites Born pour le raisonner étaient restées vaines. Il avait hésité un instant au moment de quitter la capsule, s'était demandé s'il n'allait pas laisser Parker s'embarquer seul et attendre, lui, les secours. 11 y avait renoncé, en pensant qu'il serait imprudent de le laisser partir seul dans Uétat où il se trouvait, en se disant en outre 9'ne, de toute façon, ils ne s'éloigneraient certainement pas beaucoup de la capsule...
D'ailleurs, Parker entendait bien qu'il l'ac1 compagnât, et le lui avait fait clairement comprendre.
Valéry avait déchanté lorsque, déjà à bord Ligu canot, il avait vu son camarade mettre en rroute le petit moteur à réaction chimique ie. directe sur l'eau de mer. Le petit propulseur, 'malgré sa taille réduite, permettait une vitesse respectable pour un simple canot. Puis jef Parker avait saisi la barre...
je Et, tout de suite, Born avait compris que ' la tâche de ceux qui n'allaient pas manquer de se lancer à leur recherche serait malaisée.
Il Peu de temps après, ils avaient entendu les avions. Puis, plus rien.
La nuit était tombée rapidement. Trop vite au goût de Born.
IlA l'avant, on ne devinait aucune côte.
C'était un peu paradoxal, mais la venue de la nuit et l'absence de rivage où aborder semblaient avoir calmé complètement Parker.
— As-tu la carte 7 avait-il demandé au bout d'un long moment de silence, Born avait acquiescé. Dans la précipitation du départ, c'était tout ce qu'il avait pu emporter de l'Alliance-6, avec quelques autres objets divers qui ne pouvaient leur être d'un grand secours.
62 LES RESCAPÉS DU FUTUR — Nous devrions avoir touché la côte de Mayaguana., avait ajouté jef. Il doit y avoir une assez forte dérive...
Résigné, Born s'était contenté de hocher la tète. Ils étaient dans un archipel ; de toute façon, ils aborderaient bien une île ou une autre. Et, dès le lever du jour, tout serait plus facile...